Qu’est-ce que le « modèle » allemand ?

Publié le par Julie DEBORDE

 


Il y a encore quelques années, l’Allemagne  était « l’homme malade de l’Europe » du fait de sa faible croissance. Elle est aujourd’hui le modèle qu’il convient de suivre… S’il s’avère possible d’identifier un modèle allemand, des données objectives nous forcent à relativiser ce que bon nombre de politiques aimeraient qualifier de succès. En fait, la version ordolibérale de l’économie de marché caractérisant le modèle allemand constitue le pilier idéologique de la construction européenne appliquée aujourd’hui de manière encore plus rigoriste qu’au sein de l’Allemagne même.

 

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Dans une Allemagne traumatisée par l’hyperinflation des années 1920, les tenants de l’ordolibéralisme réunis autour de l’économiste Walter Eucken (école de Fribourg) plaident en faveur d’une « économie sociale de marché » d’inspiration libérale qui s’appuie sur une politique monétaire prioritairement orientée vers la stabilité des prix et une politique de concurrence rigoureuse destinée à éviter  la formation de monopole et de cartel. La protection sociale allemande, quant à elle, s’est développée sur des fondements qui renvoient bien plus à la période bismarckienne qu’à l’économie sociale de marché : synthèse entre une politique d’inspiration keynésienne du parti  social-démocrate des années 1960 et de la permanence de mécanismes sociaux hérités de la période bismarckienne.


Ce modèle va progressivement s’épuiser. De 2003 à 2008, on assiste à la mise en œuvre  des réformes dites de « l’agenda 2010 », d’abord par le gouvernement SPD-Verts dirigé par  Gerhard Schröder, puis par une grande coalition entre la CDU et le SPD sous la houlette d’Angela Merkel. Cette politique s’est traduite par une cure d’austérité sans équivalent dans aucun autre pays européen, avec un taux de décroissance annuel moyen du total des dépenses publiques de 1,4% par an une fois l’inflation déduite (-70 milliard d’euros constants, soit -850 euros par habitant).


Désormais, ce qu’il ressort du modèle allemand, outre sa balance commerciale excédentaire, c’est l’absence de partage des gains de productivité, affectés aux entreprises et aux hauts salaires, qui ne réussissent pas à cacher la stagnation du salaire médian allemand depuis quinze ans. En matière d’emploi, un rapport de la Fondation Bertelsmann établit un classement de 31 pays de l’OCDE dans lequel l’Allemagne n’arrive qu’en 15eme position, derrière la France (8ème) et même le Royaume-Uni (11ème). Selon cette étude, le pays est en avant-dernière position s’agissant du chômage de longue durée. La pauvreté, quant à elle, progresse à grands pas : la Fondation souligne qu’entre 1995 et 2005, la part de ceux qui vivent avec moins de la moitié des revenus médians est passée de 7,1% à 9,5%. Enfin, la croissance de l’Allemagne a atteint 3,6% en 2010 contre 1,6% en France mais c’est oublier que le PIB allemand avait reculé de 4,7% en 2009 alors qu’il n’avait chuté que de 2,6% en France.  La France aurait donc, sur la période 2009/2010, une croissance supérieure d’environ 0,3 points à celle de l’Allemagne…

 

Enfin, selon les termes de Frédéric Marty, chercheur au CNRS, la place occupée par la concurrence dans la construction de l’Union n’est pas sans faire écho à celle qu’elle prit dans la construction de la République Fédérale Allemande à la fin des années quarante. Michel Foucault est allé plus loin en affirmant que la politique de la concurrence a été l’un des principaux moyens de légitimation de l’Etat. Selon Christophe Strassel, professeur associé à l’ENS Ulm, la construction européenne apparaît bien plus radicale dans son inspiration puisqu’elle conduit notamment à évincer le politique de nombre de fonctions économiques : monnaie, réglementations relatives à la concurrence… François Bilger note que le résultat de cette construction est donc une organisation très libérale dont l’efficacité est très incertaine. Avec une Banque centrale indépendante et un Conseil des États aux pouvoirs limités ainsi que des règles et sanctions relativement contraignantes, l'Europe revient en quelque sorte au système du 19° siècle, un temps où les pouvoirs publics se soumettaient aux contraintes de l'étalon-or ou bimétallique, ne se considéraient donc pas responsables d'autre chose que de la législation économique et de la stabilité monétaire et acceptaient avec un certain fatalisme les fluctuations ou les crises éventuelles de l'économie et de la société.


Publié dans Economie

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